— Compte
rendu de Michael Roboz d’une présentation de Bert Chase donnée le 21 octobre
2012 à l’occasion des portes ouvertes du Rudolf Steiner Centre à Vancouver
Rudolf
Steiner donnait généreusement de son temps et de son énergie pour répondre aux demandes
d’une variété d’initiatives naissantes. Une grande partie de la richesse de la
sagesse anthroposophique qui nous a été léguée provient justement de ce qui a
été donné à ces différents cercles. Lorsque Rudolf Steiner trouvait le temps de
se concentrer sur son propre travail de création, il se consacrait à développer
de nouvelles manières de donner forme et structure à ce qui nous environne. À
ce propos, il soulignait combien les formes et les proportions de nos constructions
ont une influence sur nous comme individus et aussi sur le fonctionnement de
nos organisations. Il insistait sur le fait que si nous n’arrivons pas à métamorphoser
les principes formateurs à l’œuvre dans les espaces qui nous environnent, les
principes archaïques imprégnés dans ces espaces créeront des obstacles
croissants, non seulement pour le développement de la vie anthroposophique,
mais aussi pour le développement de toute l’humanité. Les espaces que nous
héritons du passé peuvent entraver notre travail anthroposophique de
transformation culturelle.
Les
principes des constructions qui nous entourent dans la civilisation occidentale
viennent essentiellement des Romains. Les proportions et les forces inhérentes
à la conception de ces espaces et les interactions qu’elles provoquent ont
jadis favorisé le développement de l’être humain. Mais de nos jours, ces mêmes
principes agissent comme des forces qui freinent l’évolution et menacent notre
travail anthroposophique. L’impulsion romaine représente le point culminant
d’un courant d’évolution qui avait pour but la réalisation d’un certain degré
d’indépendance chez les êtres humains. Rudolf Steiner a caractérisé ce courant
comme étant l’étape Mars de l’évolution de la terre, expliquant à maintes reprises
qu’il s’agissait d’une descente de l’être humain hors de l’état de conscience
atavique vers une conscience individuelle.
Ce
courant Mars a atteint un point de cristallisation vers l’an 86 av. J.-C.
lorsque le général romain Sulla s’est fait déclarer empereur. Selon la
conception du monde qui s’est développée dans le contexte d’une hiérarchie
centralisée et dominatrice fondée sur la force physique, la valeur de tous les
aspects de la société dépendait de l’identité que la collectivité leur
accordait. Cette rigidification de la culture a inévitablement influencé la
façon dont les êtres humains ont fait l’expérience des premières lueurs d’une
conscience individuelle. Dans le contexte de cette conception hiérarchique
romaine du monde, l’individu ne pouvait faire l’expérience de son soi qu’en
identifiant sa place à l’intérieur de la hiérarchie établie, et toutes les
configurations culturelles ont été développées pour soutenir cette structure.
Cette
conception du monde a été projetée dans l’espace environnant grâce à un nouveau
développement technique, celui de l’arpentage. Cette technique a permis de mettre
en place partout dans l’Empire romain un système de routes disposées en ligne
droite ne tenant plus aucun compte des données géographiques et topographiques.
On a construit des villes et des bâtiments selon des grilles rigides composées
d’angles droits.
Nous
pouvons nous rendre compte de l’immense influence de ce système de
développement selon des grilles en suivant la transition graduelle de configurations
composées d’angles ouverts à celles où apparaissent les angles droits. L’angle
droit crée l’impression que quelque chose est « verrouillé » dans
l’espace. L’angle obtus par contre, si petit que soit l’écart de ses côtés,
conserve un sens inhérent de mobilité. Là, l’espace garde une qualité de
respiration qui disparait avec le système romain des grilles.
Arriver à
surmonter la puissance de ces systèmes fondés sur l’angle droit, voilà une
tâche qui nous demandera un effort considérable. En effet, ces systèmes ont
tellement envahi notre existence que pour nous livrer de leur pouvoir
rigidifiant il nous faudra acquérir une acuité de conscience et une grande
présence d’esprit. Une fois qu’on commencera à reconnaitre leur omniprésence,
il faudra alors développer des principes entièrement neufs relativement à la configuration
de notre espace environnant. C’est seulement de cette manière que nous
réussirons peu à peu à introduire dans notre environnement des principes de
mobilité de rythme et de respiration qui pourront à leur tour influer sur nous,
êtres humains, agissant ainsi sur la manière dont nous faisons l’expérience de
ces espaces et sur la manière dont nous y vivons.
Le Mystère du Golgotha et
la transition de Mars à Mercure
Le
Mystère du Golgotha représente le grand « tournant » dans l’évolution
terrestre, le début de la transition de l’étape Mars à ce que Rudolf Steiner
nomme l’étape Mercure. Ce « tournant » exige que chaque aspect de
l’effort humain soit pénétré d’une conscience spiritualisée. Chaque aspect de
notre culture tellement « verrouillée » dans la conception du monde
imprégnée par l’angle droit romain doit être maintenant « ouvert »
par l’activité et l’intention des êtres humains.
Pour que
ce tournant puisse se déployer, il faut que l’humanité développe des facultés
d’âme entièrement nouvelles. Vers l’an 1400, les toutes premières lueurs de
cette nouvelle faculté d’âme ont commencé à se faire jour chez les êtres
humains. Rudolf Steiner identifie ce phénomène comme étant l’aube de l’âme de
conscience. La première manifestation culturelle de cette nouvelle faculté,
c’est la Renaissance.
L’âme de conscience,
Raphaël et la Renaissance
À chaque
étape importante de l’évolution de l’humanité, il y a de grands individus qui
viennent indiquer le chemin. Adam, Élie, et Jean le Baptiste ont tous été des
annonciateurs d’une nouvelle étape d’évolution. À l’aube de l’époque de l’âme
de conscience, le remarquable artiste-peintre Raphaël (28 mars 1484 – 6 avril
1520) a été parmi les premiers hommes en qui cette nouvelle qualité psychique
s’est éveillée. On pourrait dire qu’il est un des premiers êtres humains à avoir
incorporé l’impulsion Mercure. Rudolf Steiner attire souvent l’attention sur
l’une de ses plus grandes œuvres, la Madone Sixtine, créée en 1513-1514.
Bert
Chase avec la Madone Sixtine de Raphaël, et le dessin d’un bâtiment
romain illustrant l’angle droit
Lorsque
nous observons les statues des empereurs romains, nous sommes frappés par le
fait qu’elles sont plus grandes que nature. Elles se tiennent droites, face à
l’observateur, dans une attitude de confrontation, portant souvent une armure
et brandissent une arme.
Si nous
comparons cette attitude avec celle de la Madone Sixtine de Raphaël, ce qui
saute aux yeux en premier lieu, c’est la manière dont la Madone semble être en mouvement,
se tournant vers l’observateur, soulevant doucement la forme de l’archétype de
l’être humain — l’enfant Jésus, comme si elle échappait aux forces de la
pesanteur. L’Enfant nous fixe des yeux. Ces deux formes centrales du tableau nous
invitent à nous entretenir avec eux, à laisser notre expérience d’âme pénétrer
dans l’ambiance du tableau. Cette impression de participation active à
l’évènement en train de se dérouler est accentuée et concentrée par les deux
formes que l’on voit sous la Madone et l’Enfant. Le personnage sur la droite,
vêtu de teintes d’une fraicheur bleuâtre, nous invite à rentrer dans l’ambiance
que nous observons. Le personnage sur la gauche, vêtu de teintes chaudes, assume
le mouvement dynamique contenu dans la peinture et semble tendre la main vers
l’extérieur, vers nous.
La Madone Sixtine et le
premier Gœtheanum
À mesure
que nous réussissons à faire l’expérience de la dynamique créée à l’intérieur
de cette peinture, nous commençons à nous rendre compte qu’il y a des
mouvements parallèles en nos âmes qui s’avèrent être le reflet de ceux du
tableau. En dessinant ces mouvements sous forme de schéma, ce qui apparait est
une sorte de circulation rythmique, une pulsation qui émane des formes
centrales de la Madone et de l’Enfant pour éveiller en nos âmes, comme un
reflet, une activité éthérique. En dessinant ce mouvement, on voit se révéler
le langage fondamental qui sous-tend la structure du premier Gœtheanum. Nous
pouvons suivre le mouvement contenu dans le tableau de la Madone Sixtine et le retrouver
dans la circulation mouvante incorporée dans le premier Gœtheanum.
Tout ceci
trouve son point central dans l’emplacement du Groupe sculpté, la statue du
Représentant de l’Humanité, situé au même endroit que l’Enfant Jésus dans le
tableau de Raphaël. En observant de plus près, nous découvrons que le Groupe
sculpté est lui-même un prolongement de la structure rythmique contenu dans la
peinture.
Bert Chase, schéma du premier Gœtheanum.
En plus,
nous pouvons observer comment le rapport dynamique entre les personnages permet
une « inhalation invisible » provenant d’au-delà du seuil. Ce
« souffle du seuil » soulève la cape de la Madone. Et pendant que
nous contemplons cette inhalation invisible, nous ressentons un espace, une
ouverture, un être qui peut vraisemblablement permettre que la nouvelle faculté
de l’âme de conscience soit présente.
Un renouveau pour le centre
En nous
appuyant sur ces considérations, nous pouvons maintenant nous tourner vers les
tâches entreprises en vue d’effectuer un renouveau de cet espace pour notre
travail anthroposophique ici à Vancouver. Nous pouvons observer comment on a
fait un doux effort pour reproduire les mouvements inhérents à la Madone
Sixtine et au premier Gœtheanum. Toutefois, les moyens d’y arriver ont été
modifiés pour correspondre aux conditions particulières de notre espace. La
première étape est la création d’une impression de plusieurs plans disposés
l’un derrière l’autre. Cette impression de plans surimposés est ensuite
accentuée par les couleurs des plans qui vont de plus claires à plus foncées.
En rouvrant le mur arrondi où ces plans se rencontrent, la sensation de
mouvement, de circulation, est intensifiée, tout en respectant les principes
structuraux des espaces tels qu’ils nous ont été donnés.
L’impression
est encore rehaussée par notre décision de reprendre le mouvement des couleurs
indiqué par Raphaël, les teintes fraiches à droite, les teintes plus chaudes à
gauche. Ce jeu de couleurs favorise la sensation de mouvement, de circulation
qu’indiquent les formes mêmes des espaces.
Ce ne
sont ici que quelques indications des efforts déployés pour ennoblir les
principes qui sous-tendent l’organisation des espaces que nous avons hérités et
pour tenter de les métamorphoser de manière à ce qu’ils puissent soutenir et
vivifier la continuation de notre travail anthroposophique.
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