Il était une fois un très bon roi, qui avait eu de sa première femme, un fils et deux filles. En l’honneur de l’arrivée d’une troisième princesse, unique enfant de son second mariage, le roi donna une magnifique fête. Les trois gentes fées du royaume se présentèrent et entourèrent aimablement le berceau. La première offrit à l’enfant un cœur pur comme de l’or, la suivante, une volonté ferme comme le rocher, et la dernière, lui octroya une pensée et une parole claires comme le cristal. La quatrième fée, celle qu’on n’invite jamais, mais qui s’infiltre toujours, se pencha aussi sur le bébé. Elle prédit que, vers 14 ans, la nouvelle-venue serait piquée par une vipère et en mourrait. Les trois bonnes fées ne purent rien pour conjurer le mauvais sort. Cependant, elles dévoilèrent au roi, que lui seul, avec ses mains et son cœur d’humain, pourrait alors éviter la mort de sa fille.
La fillette grandit dans la bienveillance. Toute cette sollicitude ne put pourtant empêcher la vipère annoncée de piquer l’adolescente. Son père, de ses mains et de sa voix aussi calmes que son cœur, lui insuffla la force de surmonter la maladie. Le cœur ingénu, qui ne perdit ni de sa vaillance, ni de sa générosité, ni de sa foi en la vie, resta néanmoins affaibli dans son pendant physique. Cette faiblesse fut telle qu’on refusa même la princesse au couvent où elle aurait voulut faire ses vœux de pauvreté.
Heureusement ! Car le cœur d’or de la jeune femme qui battait, battait parfois aussi vite que celui d’un oiseau, était un cœur de pigeon voyageur. Le cœur d’une messagère dont le monde avait grand besoin et qui avait besoin du monde. Comment aurait-on pu l’enfermer ? Même pour une noble tâche ? Elle en serait peut-être morte pour de bon.
La princesse trouva époux, et devint reine du foyer. Grâce aux richesses léguées par son père et à son don particulier de gérer les biens, la souveraine put toujours recevoir l’aide nécessaire pour prendre soin de ses quatre enfants, trois fils et une fille. Pour sa belle couvée, elle espérait trouver la gouvernante qui lui semblerait la plus avisée du royaume. La Duchesse Simons, venant de pays lointains et qui cherchait un lieu pour prodiguer aux petits, les fruits d’une profonde Sagesse, fut bientôt invitée à veiller quelques heures par semaine, sur les enfants de notre héroïne et ceux du voisinage. La reine offrit à sa nouvelle amie une tour, une tour toute ronde, pour que les bambins s’y donnent la main et fassent ensemble des rondes, pour y partager les arts et surtout l’art de partager. Grâce à cette heureuse association, la reine apprit beaucoup de tous les livres de Sagesse apportés par la Duchesse, Sagesse qui s’adressait aussi aux adultes. En d’autres tours, ici et là, elle L’étudia avec quelques autres chercheurs et essaya désormais, et pour toute sa vie, de L’appliquer.
Et la vie qui la transformait, transforma aussi ses enfants en adolescents qui devinrent des jeunes gens prêts à partir dans le monde pour apprendre la vie. L’oiselle voyageuse changea de ville, puis s’installa auprès d’un grand fleuve pour assurer à son mari, gravement malade, un air vivifiant et toute sa présence attentionnée. Les époux firent ensemble de beaux voyages jusqu’à ce que le fidèle compagnon entreprenne dignement, dans les bras de sa femme, debout devant le soleil levant, le passage vers l’Autre Monde.
Désormais sans responsabilités particulières, l’oiselle pouvait ouvrir ses ailes à sa guise… On lui proposa le nid serein d’un second mariage. Elle choisit de s’envoler en pays voisin pour approfondir l’art d’éduquer découvert avec la Duchesse Simons. À son retour, elle érigea une nouvelle tour, tout près d’une rivière d’Eau Vive. Des chevaliers vinrent pour la supporter dans cette tâche. D’autres tours furent érigées, pour que les enfants puissent y devenir des êtres humains « au cœur pur comme de l’or, ferme comme le rocher, clair comme le cristal. » Tout un château, un château-école se développa et notre amie, laissant aux autres chevaliers le soin des rondes et de tout l’apprentissage, se tint encore plusieurs décennies à la grande table ronde en tant qu’administratrice et conseillère. Celle qui ne devait jamais atteindre l’âge adulte devint ainsi la« Grand-Mamie » de tout un royaume !
Lorsque son cœur transparent ne put plus suivre la vie trépidante du château, la grand-mamie aurait voulu ériger une dernière tour, plus tranquille, pour accueillir ceux qui arrivent à la fin de leur vie. Son rêve ne put se réaliser, mais au havre où elle fit son dernier nid, elle construisit néanmoins une tourelle où se réfugièrent par moments tous ceux qui voulaient partager leurs expériences de vie. Celle qui avait su emmailler des mains d’enfants et d’adultes en un grand tissage social, tricotait maintenant un lieu de nouvelles rencontres, comme…de chaleureux châles pour tous et chacun. Et l’eau de la vie coulait toujours, mais de plus en plus simplement, de plus en plus lentement…à part quelques violents tourbillons qu’elle abordait pourtant avec courage.
Or, voici que vint le jour où son cœur d’oiseau, son cœur s’est mit à battre plus vite que ses aiguilles à tricoter, plus vite que les aiguilles de l’horloge où sonna l’Heure; son cœur ouvert se mit à battre de plus en plus vite et à voir battre deux grandes ailes blanches qui venaient de lui pousser. Or, vint la nuit, où deux grandes ailes, claires, fermes et pures, se sont mises à battre doucement mais résolument, pour, au lever du soleil, emporter le cœur de la souveraine si haut, si haut dans le firmament, qu’il est passé de l’Autre Côté de l’Arc-en ciel.
Et nous, nous qui ne doutons pas un instant qu’un cœur comme celui-là, rien ne pourra jamais le détruire, nous savons que puisqu’il n’est pas mort, il vit encore.
Huguette Bigras-Chaurette
1922: Le 15 septembre, naissance d’Huguette Bigras à Laval-sur-le-Lac, au Québec.
1925: Huguette est atteinte de rhumatismes inflammatoires, dont elle survivra, dira-t-elle, grâce à la sollicitude et la force de son père. Les valves de son cœur, cependant, resteront affaiblies pour le reste de la vie.
1947: Mariage avec Jean-Pierre Chaurette, notaire.
1948-1954: Naissances de 4 enfants, malgré sa fragilité physique. Sa situation économique, qu’elle sait bien gérer, lui permettra d’avoir l’aide nécessaire.
1952: Rencontre décisive dans son destin de Madeleine Simons, en cherchant un Jardin d’enfants pour sa petite famille. Madeleine voulait ouvrir un Jardin Waldorf. Huguette lui en donne la possibilité en offrant une salle dans sa propre maison. Des enfants de d’autres familles sont bien sûr accueillis.
1954: Huguette devient le premier membre de la Société Anthroposophique francophone au Canada.
1966: La famille Chaurette s’installe dans la ville de Québec. Huguette initie le premier groupe d’étude anthroposophique de langue française au Canada. Elle ouvre une librairie anthroposophique dans la Capitale provinciale, la première au Québec.
1974-76: Son mari est atteint du cancer. Les enfants volent de leurs propres ailes. Le couple s’installe à Petite Rivière St-François, lieu magnifique sur le St-Laurent. Les époux voyagent et notamment à Dornach. Jean-Pierre meurt dans les bras de sa femme, debout en accueillant le lever du soleil.
1976-78: Huguette fait sa formation de Jardinière d’enfants Waldorf à Spring Valley.
1978: Huguette ouvre à Montréal, l’Eau Vive, jardin d’enfants Waldorf qui sera le berceau de l’Ecole Rudolf Steiner de Mtl.
1980: Elle sera parmi les fondateurs de la dite école. Elle y donne des cours de travaux manuels, mais devient surtout, et pour des années, une administratrice avisée et efficace de l’institution. Elle reçoit chaleureusement les nouvelles familles et ce n’est pas pour rien que tous l’appellent « Grand-Mamie Chaurette ».
1988: Malgré sa santé qui décline de plus en plus, elle devient la première lectrice de classe de L’université de Science Spirituelle de langue française au Canada.
1996: Elle aurait voulu créer un complexe de Co-Habitation. À défaut de réaliser ce dernier projet, elle se prendra un appartement dans le même édifice que I-Barbara Bastian. aussi engagée dans ce projet de co-habitation. Inge-Barabra deviendra sa grande amie et fidèle accompagnatrice jusqu’à la fin. Très vite, son petit-chez soi se fera un lieu de rencontre, d’étude, de jeux, de partages humains pour plusieurs autres locataires qui diront qu’elle a su les réunir en une nouvelle famille.
1999: Une opération à cœur ouvert et greffe lui alloueront dix ans de vie supplémentaires.
2009: Le 17 février, au lever du soleil, Huguette a passé le seuil. Celle qui ne devait jamais connaître la vie adulte laissait, quatre enfants, 13 petits-enfants, 13 arrière-petits-enfants et des centaines et des centaines d’amis, de frères, sœurs, d’enfants et petits-enfants adoptés dans le cœur.
C’est avec gratitude pour tout ce qu’elle a légué de sa fortune personnelle et de ses grandes qualités d’initiative, de fraternité, de courage que nous lui souhaitons bonne route dans sa nouvelle étape, en sachant qu’elle continuera d’œuvrer pour la tâche anthroposophique et l’Idéal Humain.
Hélène Besnard
Thursday, April 2, 2009
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